Asniéres Caen 3-4-5 Mars
(La Dofinette)
Voici un petit Cr de vététiste !!
- « C'est étonnant tu ne trouves pas ? On a éteint nos lumières, moi mon halogène,
toi ta frontale
et l'on voit comme en plein jour ! »
-« Oui, ça arrive souvent. La nuit est blanche en réalité. J'aime bien tout
éteindre et observer
la nature. On n'a plus qu'à observer le ciel et tu vois, là c'est dommage, on
ne voit pas les
mille feux du ciel. Ce paysage n'est pas vraiment enthousiasmant, ce ne sont
que des plaines à
perte de vue » répond le Bourrin.
- « Oui mais regarde ces voiles de brumes à l'horizon, qui enveloppent la terre
comme pour la
protéger, cette étendue infinie que l'on franchit doucement, cette pureté, cette
blancheur. C'est
beau aussi la nuit de plaine, on va au bout de la nuit et on peut le voir au
loin ».
Le Bourrin courre inlassablement à petites foulées régulières et rythmées, il
avance. Je pédale à
ses côtés et je tourne dans le bon sens aussi longtemps que la terre est ronde.
Le sens de l'humanité, du partage, de la générosité nous entraîne à parcourir
les kilomètres qui
soulagent la misère et le dénuement. Du 3 mars 2004 au 4 mars, les aiguilles
de l'horloge
arrondissent leur gong au rythme des enjambées des zanimos de la toile cybernétique,
réunis pour
une cause humaine. Vingt kilomètres citadins pour l'Electron, et le franchissement
de la limite
entre la ville et la campagne avec le Bourrin, il est deux heures du matin et
bien 40 kilomètres
déjà parcourus.
Tonyé (le fils du Yéti) reprend le troisième relais et, à travers les vitres
de l'auto, je
l'observe à la lumière des phares. Une longue silhouette boute en train qui
se couvre et s'étire
pour partir, au plus profond de la nuit, pour un plus long parcours de quarante
ou cinquante
kilomètres. Etendue sur le velours de la banquette arrière, je fais clignoter
de force mes
paupières de plomb pour voir encore. Son accompagnateur vélo,Laurent, tel un
ange gardien est prêt
et nous observons tous notre franchisseur sur le point de partir.
Tel Cyrano ou Richard III, il sait ce que relever un défi veut dire. Tonyé nous
déclamait quelques
heures auparavant les paroles de l'épouvantable tourment de ces deux héros de
la littérature
française dans les coulisses du théâtre d'Asnières sur seine pour la cérémonie
de départ. Pendant
que de l'autre côté, huit cent personnes étaient assises dans l'amphithéâtre
où l'on entendait
résonner les paroles du Président d'Enfants Du Mékong dans le microphone. Voilà
maintenant que le
théâtre de la vie n'était plus l'ombre d'une réalité et que chaque coureur devenait
tout à coup le
héros véritable d'un enjeu de vie. N'en déplaise à Shakespeare, les marionnettes
que nous sommes
ne sont pas toujours de pauvres acteurs qui jouent leur scène et s'en vont.
Une vie peut aussi
être l'empreinte d'un don d'humanité que l'on offre et qui touche et soulage
autrui.
Il n'y a pas d'absurdité douloureuse dans un microcosme et c'est ce que nous
défions cette nuit
là, quoiqu'il en soit. Je m'enfonce dans les ténèbres du rêve pendant que nos
deux ombres
s'évanouissent dans l'obscurité.
Le matin est timide et humide. Ça sent mauvais dans la voiture embuée. On cherche
des croissants.
Sept heures, j'enfourche mon beau vélo et je pédale en suivant l'Electron.
Quel personnage va se
dessiner chez ce coureur décidé ? Les yeux pétillants de malice, il avale le
goudron mouillé,
tranquillement et sûrement.
Des paroles des scientifiques pour me recadrer, ça me fait du bien !! :
-« Ça ne sert à rien de te fixer des objectifs à long terme car tu ne sais pas
si tu peux les
atteindre. En revanche, si tu te tiens à des points de moins en moins éloignés,
de moyen ou de
court terme, tu réussis par étapes à franchir la ligne ».
- « Oui mais » lui répondis-je, « me fixer d'atteindre ce poteau électrique
à trois cents mètres
pour moi ça n'a rien d'exultant. J'aime bien l'idée du rêve. J'espère arriver
au prochain village
pour boire un café chaud avec des croissants croustillants hum cela me donne
envie d'y arriver !!!
»
- « Oui mais cela est très général. Regarde le panneau de ce village là bas.
Si dans ce village il
n'y a pas de café, tu vas te décourager. »
Et en effet, trois villages successifs et toujours pas de café et de croissants
chauds. Mais qu'à
cela ne tienne, nous bavardons ou je laisse le coureur se concentrer et éviter
de se fatiguer, je
pédale perdue dans mes pensées.
Neuf heures du matin. Le Bourrin a zyeuté une camionnette banalisée de campagne
et nous trouve un
festin de rois pour un superbe petit déjeuner au coin du feu s'il vous plait
! Tant mieux car les
cartilages de l'Electron ont décidé de mener la vie dure à ses pauvres genoux
et nous sommes
trempés. Le Bourrin passe alors après ce repas copieux aux choses sérieuses,
car il enfile son
béret bleu pour ce protéger de ce lancinant crachin qui ne va pas nous quitter
de la journée.
Le Bourrin, Tonyé, L'Electron, la journée se superpose des foulées de nos zanimos
déterminés et
j'ai pédalé environ 60 kilomètres de plus!!!!!
Nous arrivons à notre première étape à Bernay dans l'Eure (27) soit environ
140 kilomètres sont
parcourus. Non, je préfère me couvrir les yeux pour ne pas entendre !!!
Nous faisons la connaissance d'Annick dans la soirée, qui prend le relais pour
60 bons kilomètres
le lendemain jusqu'à Caen.
Après une bonne nuit dans un vrai lit, 5 mars, et en effet, Annick parait raide,
au départ, dans
son style de course et Tonyé me dit :
-« Tu vois là une sportive de fond. Elle est partie pour des heures sans
s'arrêter »
Et en effet, petite et fine, elle vole légèrement sur l'asphalte. Incroyablement,
elle continue
alors que les heures défilent et inlassablement, ces petites foulées aériennes
lui font passer des
kilomètres à pas de géant.
Tonyé à ses côtés courre avec aisance, on dirait un danseur. Il bondit
sur les flaques, il
funambule sur les bouts de trottoirs et pose le pied toujours au bon endroit,
précis et mesuré.
Parole de Dofinette, je n'ai jamais vu ça !!!!!!!
Vers dix sept heures, à notre arrivée sur Caen, Le Bourrin, l'Electron, Annick
baptisée «La p'tite
Canne » (car elle s'étire avec les bras comme les cannes) , Tonyé et laurent
baptisé aussi Le
Castor et moi-même sur nos vtt respectifs, nous sommes tous ensemble pour la
première fois à
parcourir les rues de la ville (non sans quelques difficultés avec la circulation)
pour les
derniers kilomètres.
Tonyé danse encore à petits bonds ou saltos arrières, et courre sur les petits
murets de un mètre
qui séparent les routes des trottoirs, en disant bonjour aux passants éberlués,
et on regarde tous
notre Cyrano explosés de rires.
Nous avons franchi au total de cette étape complète 230 kilomètres environ et
je me suis forgée un
« mental d'acier » comme dit le Bourrin avec 180 en vtt il parait !! :-)))))))))
L'épreuve est fascinante car on n'est jamais seul dans des conditions même difficiles
et parfois
avec des membres douloureux. L'effort d'équipe nous fait tout oublier. On est
encouragé les uns
par les autres sans parfois se rendre compte que c'est la présence des compagnons
de route qui
nous motive. La difficulté principale de l'accompagnement vélo est de suivre
le coureur à son
rythme à 9 kilomètres/heure environ. Il faut parfois de la patience pour
ne pas mettre un coup de
pédale et partir devant. A d'autres moments, c'est le froid qui gagne car notre
effort physique
est bien moindre que celui du coureur. Finalement, obligée de suivre le rythme
du coureur à pied,
je me suis maintenue kilomètre après kilomètre bien plus longtemps que je pensais
en être capable.
Le deuxième jour j'ai parcouru l'étape complète de 80 kilomètres en VTT alors
que le matin je ne
pensais pas y parvenir (après les 100 kms de la veille). Mais chacun, par des
mots
d'encouragements, « ça va ? », « allez ! », «vas y » nous fais franchir les
étapes tout
simplement.
Belle expérience !!!
La Dofinette
Pour que la terre tourne dans le sens de la générosité, de l'humanité et du
partage, je fais
tourner mes pédales dans le même sens.